Le déplafonnement des indemnités prud’homales confirmé par le Conseil des Prud’hommes de Grenoble.

Après le Conseil de Prud’hommes de Troyes, d’Amiens et de Lyon, le CPH de Grenoble juge par décision en date du 18 janvier 2019 la « barémisation » introduite à l’article L.1235-3 du Code du travail inconventionnelle en ce que ce barème viole les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la convention n°158 de l’OIT, et le droit au procès équitable.

I. Généralités.

L’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail, a modifié l’article L.1235-3 du code du travail afin d’introduire un plafonnement des indemnités prud’homales versées à un salarié en cas de licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse.

Existe donc désormais un barème compris entre un minimum et un maximum obligatoires, selon que l’entreprise compte plus ou moins de 11 salariés.

Ce barème a été remis en cause et écarté par le Conseil de prud’hommes de Troyes [1], d’Amiens [2], et Lyon [3] .

Si le jugement du Conseil de prud’hommes de Troyez était particulièrement motivé
 [4] le jugement du Conseil de Prud’hommes de Grenoble [5] l’est encore plus, tirant les leçons des éventuelles critiques qui pourraient être formulées, tout en introduisant la violation du droit au procès équitable.

II. Sur le contrôle de conventionnalité.

Le Conseil de prud’hommes de Grenoble a opéré, avec rigueur, un contrôle de conventionnalité afin d’écarter l’article L.1235-3 du code du travail.

Il assoit le fil de sa démonstration sur de nombreuses décisions jurisprudentielles.

Tout comme le Conseil de prud’hommes de Troyes, le Conseil de Prud’hommes de Grenoble prend appui sur les dispositions de la convention n°158 de l’OIT, et l’article 24 de la charte sociale européenne pour écarter l’article L.1235-3 du code du travail.

Ainsi, en premier lieu, le Conseil établit, tout en se référant aux décisions rendues tant par la Cour de Cassation que le Conseil d’État, qu’il est bien compétent pour procéder à un contrôle de conventionnalité.

Il indique, à ce titre, que « ce contrôle peut donc conduire, lors de l’examen d’un litige, à écarter la loi française pour faire prévaloir la convention internationale dans la résolution du litige ; que tel a été le cas, devant le juge prud’homal, à l’égard du contrat nouvelles embauches jugé contraire à la convention 158 de l’OIT (CPH Longjumeau, 28 avril 2006, De Weec/ Philippe Samzun n°06/00316 ; CA Paris, 18 E, 6 juillet 2007, n°S06/06992) ».

En deuxième lieu, le Conseil vérifie l’applicabilité directe, en droit français, tant de la convention n°158 de l’OIT, et plus particulièrement de son article 10, que de l’article 24 de la charte sociale européenne.

En troisième lieu, le Conseil vise la décision rendue par le Comité européen des droits sociaux du 8 septembre 2016 [6] et les décisions rendues par les différents Conseil de prud’hommes pour juger le barème, défini à l’article L.1235-3 du code du travail, comme contraire « à la jurisprudence européenne ».

Allant au-devant des critiques potentielles eu égard à la décision rendue par le Comité européen des droits sociaux du 8 septembre 2016, qui, pour mémoire, avait décidé qu’un plafond établit à 24 mois de salaire peut ne pas suffire pour compenser les pertes et le préjudice subi, étant précisé que des voies de droit alternatives ne sont pas prévues pour obtenir une indemnisation par ailleurs, le Conseil de prud’hommes de Grenoble motive rigoureusement, sur plus de trois pages, sa décision.

III. Sur la motivation du Conseil de prud’hommes de Grenoble.

Les faits de l’espèce, portés à l’appréciation du Conseil de prud’hommes de Grenoble étaient les suivants.

Un salarié qui comptait un an d’ancienneté, en tenant compte de sa date d’embauche en CDD, avait appris par SMS de son employeur que son retour n’était pas souhaité. Il recevait, le lendemain de ce SMS, un courrier recommandé de son employeur qui l’informait de la fermeture de l’entreprise et qu’il était par conséquent libéré de son contrat de travail. Le salarié ne recevra jamais les documents de fin de contrat à durée indéterminée. Lors de la procédure, l’employeur ne sera ni présent, ni représenté, ni excusé.

Le Conseil de prud’hommes de Grenoble, après avoir relevé qu’en application de l’article L.1235-3 du code du travail le salarié pouvait prétendre à 2 mois de salaire au tire de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, décide d’écarter ce barème qu’il juge inadapté aux faits de l’espèce.

En effet, le Conseil expose que le barème ne permet pas d’apprécier à sa juste valeur le préjudice du salarié puisqu’il se limite au critère de l’ancienneté et, ne prend pas en compte le fait :

  • qu’il a été licencié sans le respect d’aucune procédure de licenciement ;
  • qu’il n’avait pas bénéficié d’une visite médicale de reprise suite à son accident de travail ;
  • que n’ayant pu obtenir ses documents sociaux, le salarié était privé de ses droits auprès de Pôle emploi.

Ainsi, le Conseil retient que « le barème issu de l’ordonnance du 22 septembre 2017 (…) ne permet pas au Juge de tenir compte de l’ensemble des éléments de situations du salarié qui alimentent ses préjudices financiers, professionnels et moraux ».

Il poursuit « en droit français, il n’existe aucune voie de droit alternative pour que le salarié obtienne une indemnisation complémentaire dans le cadre de son licenciement . (…) Que le juge prud’homale a l’obligation de fixer une seule et unique indemnisation de tous les préjudices nés du licenciement et l’ordonnance du 22 septembre 2017 a enfermé cette indemnisation dans le barème plafonné ; Qu’il existe des exceptions au plafonnement (…) notamment en cas de discrimination ou de harcèlement (…) ».

Il s’agit là d’une référence, sans conteste, à la décision du Comité européen des droits sociaux et à l’ordonnance du 7 décembre 2017 [7] rendu par le Conseil d’État qui a jugé que le plafonnement des indemnités prud’homales n’est pas contraire à l’article 24 de la Charte sociale européenne.

En outre, le Conseil considère que l’instauration d’un plafonnement a un effet pervers consistant à faire perdre son « effet dissuasif à l’égard des employeurs qui peuvent « budgéter » leur faute », permettant, même, une incitation à « prononcer des licenciements injustifiés s’ils ont été provisionnés » par ces derniers.

Ce faisant, de l’analyse du Conseil, ce barème découragerait les salariés à agir en justice en raison de l’indemnisation dérisoire à laquelle ils peuvent prétendre en réparation de leur préjudice.

Pire, le Conseil juge que le droit au procès équitable n’est plus garanti dès lors que ce barème prive le juge de pouvoir apprécier souverainement les situations individuelles, et d’indemniser les salariés en adéquation.

Plus que jamais, une véritable insécurité juridique pèse sur l’employeur. Marie TEULLET Avocat à la Cour Docteur en droit teullet.avocat@gmail.com

[1] CPH Troyes, 13 décembre 2018, n°F18/00036

[2] CPH Amiens, 19 décembre 2018, n°F18/00040

[3] CPH Lyon, 21 décembre 2018, n°F18/01238 ; CPH LYON, 7 janvier 2019, n°F15/01398

[4Le « barème Macron » écarté par le Conseil des Prud’hommes de Troyes. Par Marie Teullet, Avocat.

[5] CPH Grenoble, 18 janvier 2019, n°F/00989

[6] Finnish Society of Social Rights c. Finlande n°106/2014

[7] CE ord. 7 décembre 2017, n°415.243